Eau, assainissement et inégalités

Publication du rapport mondial des nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2019

EN CHIFFRES

  • 2,1 milliards de personnes, soit 29 % de la population mondiale, n’ont pas accès à des services en eau potable gérés en toute sécurité[1];
  • 844 millions de personnes n’ont même pas accès à un service élémentaire[2] d’eau potable ;
  • Seules 2,9 milliards de personnes dans le monde (39 % de la population mondiale) disposent de services d’assainissement gérés en toute sécurité[3];
  • 2,3 milliards de personnes (une personne sur trois) n’ont même pas accès à un service élémentaire d’assainissement ; parmi elles, 892 millions de personnes pratiquaient encore la défécation en plein air.

Cependant, ces chiffres mondiaux masquent les inégalités profondes qui existent au sein et entre les régions, les pays, les communautés et les quartiers :

  • Sur l’ensemble de la population utilisant des services d’eau potable gérés en toute sécurité, seule une personne sur trois (1,9 milliard) vit dans les zones rurales;
  • Près de la moitié des personnes qui puisent leur eau potable directement dans des eaux de surface (sources non protégées) vit en Afrique subsaharienne ;
  • Les habitants d’établissements informels doivent s’acquitter de factures nettement plus élevées pour l’eau, lesquelles sont souvent 10 à 20 fois supérieures à celles de leurs voisins les plus riches (PNUD, 2006) ;
  • L’accès aux ressources en eau est souvent lié aux droits fonciers, notamment en milieu rural. Dans le monde, les femmes représentent moins de 20 % des propriétaires fonciers. En Afrique du Nord et en Asie occidentale, elles représentent moins de 5 %.

QUI SONT LES PERSONNES LAISSEES POUR COMPTE ?

La discrimination, l’exclusion, la marginalisation, des rapports de force asymétriques et les inégalités matérielles figurent parmi les principaux obstacles à la réalisation des droits humains à l’eau potable et à l’assainissement pour tous et aux objectifs du Programme 2030 relatifs à l’eau.

Le rapport identifie différents motifs de discrimination :

  • Sexe et genre
  • Peuples autochtones, migrants, minorités ethniques et autres minorités
  • Handicap, âge et état de santé
  • Droits de propriété foncière, régimes fonciers, droits de séjour et statut économique et social

Exemples de groupes et de personnes défavorisés ou en situation de vulnérabilité en matière d’accès aux services d’eau, d’assainissement et d’hygiène (EAH)

  • Les personnes vivant dans la pauvreté se heurtent à des coûts plus élevés pour accéder aux services EAH que les personnes plus aisées, tandis que les services sont souvent de qualité inférieure.
  • Les habitants des bidonvilles reçoivent généralement des services EAH de la part de fournisseurs informels et à des prix très élevés, tandis que les services de meilleure qualité sont soit souvent inaccessibles, soit l’investissement initial en capital dans les infrastructures est trop coûteux.
  • Les groupes de population vivant dans des régions éloignées et isolées payent souvent des prix plus élevés, car les coûts unitaires de prestation des services augmentent généralement selon la distance géographique.
  • De nombreux peuples autochtones et groupes ethniques vivent dans des endroits éloignés et isolés (ce qui peut augmenter le coût de la prestation des services).
  • Les ménages monoparentaux, en particulier ceux dirigés par une femme, sont susceptibles d’avoir des revenus inférieurs à ceux des ménages comptant deux adultes ou plus et peuvent donc ne pas être en mesure de s’offrir des services EAH.
  • Les enfants courent le risque de recevoir des services de qualité inférieure, car les usages peuvent donner la priorité aux adultes et les écoles peuvent fournir de mauvais services EAH. L’accès peut aussi être limité dans une famille nombreuse avec de nombreuses personnes à charge.
  • Les personnes âgées, les malades et les personnes handicapées ont souvent besoin d’une aide apportée par des technologies aux caractéristiques spécifiques, ce qui peut entraîner des coûts élevés. Parallèlement, leurs ressources financières peuvent être limitées, car ils ne gagnent souvent pas de revenus (et beaucoup de pays n’offrent aucun filet de sécurité ou régime de retraite).
  • Les personnes confrontées à des situations d’urgence (comme les catastrophes naturelles) disposent de services EAH limités, en particulier lorsqu’elles se trouvent loin des centres urbains.
  • Dans les pays en développement, les réfugiés bénéficient généralement de solutions provisoires pour répondre à leurs besoins en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène, et leur accès aux services EAH est largement laissé à la merci des donateurs et des organisations non gouvernementales (ONG).
  • Les détenus ont souvent un accès limité à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, ce qui entraîne des humiliations et des souffrances.

UNE APPROCHE PAR LES DROITS POUR ATTEINDRE L’ODD 6

L’objectif de « ne laisser personne pour compte » se trouve au cœur des engagements pris dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui vise à permettre à toutes les populations de bénéficier du développement socioéconomique et réaliser pleinement les droits humains. Toute l’approche du rapport repose sur ce lien entre une approche fondée sur les droits humains et l’Agenda 2030.

Les principes qui sous-tendent ces droits :

  • Disponibilité de l’eau et de l’assainissement
  • Accès à l’eau et à l’assainissement
  • Coût abordable
  • Qualité et sécurité
  • Accessibilité

Les droits à l’approvisionnement en eau et à l’assainissement ainsi que la question de l’égalité pour tous, et en premier les groupes les plus défavorisés, sont reconnus par les instruments et accords internationaux relatifs aux droits humains. Néanmoins, le rapport rappelle que tant que l’exclusion et l’inégalité ne seront pas traitées de manière explicite et adaptée dans les politiques et les pratiques, les interventions dans le domaine de l’eau continueront de ne pas bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin et qui sont susceptibles d’en tirer le plus profit.

En outre, les droits humains à l’eau et à l’assainissement ne peuvent pas être envisagés indépendamment des autres droits humains. Une gestion efficace des ressources en eau et une bonne gouvernance sont essentielles à la réalisation de plusieurs droits humains, notamment le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la liberté de mouvement, le droit à l’alimentation et les droits humains liés à un environnement sain.

LES DIFFERENTES DIMENSIONS DE L’UNIVERSALITE DE L’ACCES A L‘EAU ET A L’ASSAINISSEMENT

Dimensions sociales

Il est indispensable de prendre en compte les facteurs sociaux et culturels à l’origine de l’exclusion et de la discrimination en matière d’accès à l’eau et aux services d’assainissement dans la mise en œuvre des droits humains à l’eau potable et à l’assainissement. Des mesures existent permettant cette approche sociale des inégalités : programmes inclusifs, valorisation des connaissances locales, traditionnelles et autochtones, éducation relative à l’eau en faveur du développement durable.

Inégalités liées aux finances et aux infrastructures

Les résultats du Rapport 2017 de l’Analyse et évaluation mondiales sur l’assainissement et l’eau potable de UN-Water suggèrent que l’insuffisance de ressources financières constitue un obstacle majeur à la hausse des investissements dans la plupart des pays. Bien que les budgets Eau et Assainissement des gouvernements augmentent à une moyenne annuelle de 4,9 %, plus de 80 % des pays contrôlés déclarent ne pas bénéficier d’un financement suffisant pour être en mesure d’atteindre leurs objectifs dans les zones urbaines (cela atteint 90 % dans les zones rurales). C’est pourquoi les institutions doivent se coordonner au stade de la planification et décider des priorités afin de combler le manque d’investissement dans le secteur Eau et Assainissement.

Dimensions politiques, juridiques et institutionnelles

Le rapport analyse les lacunes qui font que les politiques n’ont pas les rendements et les résultats escomptés. Le constat souvent réalisé est le déclin progressif des intentions annoncées à mesure que l’on passe des documents de politique à la planification, la mise en œuvre puis aux mesures financières. Les mesures « en faveur des pauvres » sont beaucoup plus courantes dans les annonces politiques que dans les mécanismes de suivi. C’est pourquoi la garantie de l’alignement de l’exécution des projets sur les priorités fixées nécessite de la coordination entre les organismes concernés et une allocation budgétaire adéquate.

Dimensions économiques

L’une des raisons avancées pour expliquer pourquoi les groupes les plus vulnérables ne disposent pas de services adéquats en eau et assainissement est qu’ils n’ont pas les moyens de les payer. Pourtant, les personnes vulnérables et désavantagées dépensent souvent davantage pour leurs services d’approvisionnement en eau que les autres personnes (Banque mondiale, 2017). Selon le rapport, il serait alors logique d’explorer les possibilités de démocratisation de l’accès et de questionner le sens de l’ « accessibilité économique ».

Des études mondiales[4] et nationales[5] réalisées sur les coûts-avantages présentent d’ailleurs de bons résultats sociaux et économiques pour les dépenses réalisées pour les services Eau et Assainissement. On estime les avantages tirés d’un euro investi pour un assainissement amélioré à 5,5 euros, et de 2 euros pour une source d’eau améliorée. Une amélioration des services d’eau et d’assainissement au bénéfice des groupes vulnérables génèrerait ainsi des retours sur investissement importants. L’utilisation de subventions pourrait également avoir un impact plus important dans le secteur de l’assainissement que dans celui de l’approvisionnement en eau.

RECOMMANDATIONS et STRATEGIES POUR UN DEVELOPPEMENT INCLUSIF

Après avoir identifié les rôles des acteurs et responsabilités relatifs à la réalisation des droits humains à l’eau et à l’assainissement (les États étant positionnés comme étant les principaux porteurs de devoir chargés de veiller à la réalisation des droits humains à l’eau et à l’assainissement avec l’obligation de respecter, protéger et assurer l’exercice de ces droits), le rapport fait état de plusieurs réponses à apporter afin d’atteindre un développement inclusif de l’accès à l’eau et à l’assainissement.

Financements

Pour améliorer l’accès et combler les lacunes d’investissement, les gouvernements devront augmenter considérablement le montant des fonds publics mis à disposition en vue de l’expansion des services d’eau et d’assainissement. Le rapport précise que les dons de la communauté internationale demeurent essentiels dans les pays en développement et que ceux-ci doivent être bien conçu, transparents et ciblés de manière appropriée.

Des subventions ciblées en faveur des groupes vulnérables restent en effet une nécessité en termes de financement et de recouvrement des coûts. Les organisations internationales et les partenaires de la coopération au développement doivent s’engager à acheminer leur aide en priorité vers les pays ou régions qui sont les moins à même de réaliser les droits à l’eau et à l’assainissement. Cela étant, le rapport précise que les dons ne peuvent constituer la principale source de financement et ne remplacent pas la mobilisation d’investissements provenant d’autres sources, telles que des fonds commerciaux et des financements mixtes, y compris du secteur privé. D’une manière générale, la réponse aux besoins mondiaux en matière d’eau et d’assainissement exige l’intégration de cadres des droits humains dans les politiques de financement, dès leur conception.

Révision des structures tarifaires

L’augmentation seule du financement et de l’investissement ne suffira pas à faire bénéficier toutes les personnes les plus démunis des services d’Eau et d’Assainissement. Des structures tarifaires doivent être établies et mises en œuvre dans le but de réaliser les principes de l’équité, de l’accessibilité et des services de qualité à des coûts abordables pour chaque population cible.

Renforcement des connaissances et des capacités

Cela implique notamment des connaissances en matière d’allocation des ressources en eau et de réalisation du droit de l’eau mais également un suivi des progrès accomplis, aspect essentiel du renforcement des connaissances et des capacités. Les données ventilées (en fonction du sexe, de l’âge, des revenus, de l’origine ethnique, de la géographie, etc.) et les analyses relatives à l’inclusion sociale sont des outils essentiels pour déterminer quels groupes sont plus à risque d’être « laissés pour compte » et pourquoi.

Recherche

Le rapport insiste sur l’importance des recherches complémentaires en sciences et en ingénierie qui peuvent permettre de mettre au point des infrastructures d’Eau et d’Assainissement gérées en toute sécurité, efficaces et à un coût abordable, ainsi que des dispositifs connexes (par exemple, systèmes de filtrations mobiles et toilettes).

Bonne gouvernance

La bonne gouvernance permet de sortir des structures de pouvoir hiérarchiques tout en adoptant les concepts de responsabilité, de transparence, de légitimité, de participation publique, de justice et d’efficacité. Elle est aussi une forme de garantie à la protection efficace des droits humains. En matière d’allocation des ressources en eau, il importe de veiller en priorité à ce que suffisamment d’eau soit disponible (et de qualité appropriée) pour satisfaire les besoins fondamentaux de chacun (à des fins domestiques et de subsistance).

Pour aller plus loin

  • Le rapport complet est disponible ici
  • Le résumé est disponible ici
  • Les faits et chiffres sont disponibles ici

 

 

 

[1] L’eau potable provenant d’une source d’eau améliorée située sur place, disponible en cas de besoin et exempte de contamination fécale et chimique

[2] L’eau potable provenant d’une source améliorée, à condition que le temps de collecte ne dépasse pas 30 minutes par trajet aller-retour, en incluant le temps d’attente

[3] L’utilisation d’installations améliorées qui ne sont pas partagées avec d’autres ménages et où les excréments sont éliminés en toute sécurité sur place ou transportés et traités hors site

[4] Whittington et al., 2012 ; Hutton, 2012a

[5] Hutton et al., 2014

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