17 Juin 2020
Tribune
La sécurité alimentaire est sous la menace de la dégradation des sols
La lutte contre la dégradation des terres est un enjeu planétaire crucial qui donne un caractère d’urgence à la transition écologique de l’agriculture, affirme, dans une tribune au « Monde », un collectif de personnalités, parmi lesquelles Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand.
Tribune publiée sur Lemonde.fr ici
De l’état des sols dépendent les biens que nous consommons, l’occulter serait fatal
Dans une multitude d’écosystèmes locaux, les sols retiennent ou filtrent l’eau, hébergent la biodiversité, élaborent la fertilité nécessaire à la production agricole, fournissent des matériaux et des fibres. Leur contribution est aussi essentielle à la qualité de l’air et à celle des paysages sur lesquels se posent nos yeux.
Les sols sont vivants et s’y élabore en silence le potentiel du futur. Il faut environ 500 ans pour former 5 centimètres de sol et la faune qu’il comprend comptabilise 25 % de toutes les espèces décrites sur la terre. Le volume d’une seule cuillère à café de sol contient des milliards de micro-organismes tous nécessaires à la vie !
Plus de 3,5 milliards d’hectares de terres sont dégradés dans le monde et risquent de devenir impossibles à cultiver. Dans les zones arides qui comptent pour 44 % de la surface terrestre émergée, le phénomène est massif. En Afrique, par exemple, il touche 65 % des terres cultivables. Partout, la dégradation des terres met en péril les modes de vie des personnes qui dépendent de l’agriculture. Leur présent est difficile et leur avenir incertain.
Les causes multiples de la désertification
Ce processus est qualifié de « désertification ». La Convention des Nations unies de lutte contre la désertification définit ce terme comme « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches, par suite de divers facteurs parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». La désertification diminue chaque seconde les potentialités productives des sols sous toutes les latitudes.
Les causes de la désertification sont multiples, mais les activités humaines en sont les plus grandes responsables. Défrichements abusifs, labours excessifs, exposition de la faune du sol à l’air et au soleil, excès d’irrigation, épandage de pesticides et d’engrais chimiques, destruction de la faune, monoculture, fuite de l’humus des sols et perte de leur fertilité… Aucune civilisation n’a survécu à la mort de ses sols.
Dans les enjeux environnementaux globaux, la mère de toutes les fragilités et de toutes les batailles demeure la lutte contre la dégradation des terres. Elle est pressante car les agressions ont atteint leur point de basculement. L’Objectif de développement durable (ODD) n° 15 [17 objectifs à l’horizon 2030 ont été adoptés par l’ONU en 2015] en fixe un excellent cadre à trois niveaux : éviter de dégrader, réduire la dégradation qu’on ne peut éviter, restaurer les terres dégradées pour atteindre la neutralité, soit « un état où la quantité et la qualité des ressources terrestres nécessaires au soutien des fonctions et services écosystémiques et au renforcement de la sécurité alimentaire restent stables ou augmentent au sein d’un écosystème ».
Reconnaissance par les rapports scientifiques
Dans les perspectives du « jour d’après » évoqué en ces temps de crise sanitaire et pour agir « contre la réintoxication du monde », des leviers existent. Parmi eux, les plans d’action nationaux élaborés par de nombreux Etats pour atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres doivent bénéficier d’un soutien particulier.
Une première bonne nouvelle est la reconnaissance du problème par différents rapports scientifiques parus en 2019. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) insiste sur le rôle clé des terres dans le système climatique : « les sols, second puits de carbone à l’échelle mondiale après les océans, peuvent contribuer massivement à l’atténuation et à l’adaptation aux changements climatiques ».
De même la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) souligne que, concernant la dégradation des terres, « le coût de la perte induite des espèces et services écosystémiques s’élèverait à au moins 10% du PIB mondial annuel ». Enfin, le groupe d’experts du Comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire (CSA) s’attache aux liens entre la santé des sols et l’amélioration de la santé écologique et humaine.
Reconnaisance de l’agroécologie comme alternative
Alors que près de la moitié des systèmes cultivés sur terre se situent dans les zones arides, la sécurité alimentaire est sous la menace de leur dégradation. L’insécurité alimentaire qui en découle constitue un facteur majeur de pauvreté qui conduit partout à des instabilités sociales et politiques. Des terres dégradées mènent à des vies dégradées. L’ONU estime que la désertification, les pénuries d’eau et la baisse de la production agricole, pourraient entraîner la migration forcée de 50 à 700 millions de personnes d’ici à 2050.
Une seconde bonne nouvelle consiste en la reconnaissance progressive de l’agroécologie comme alternative, au vu de l’extrême fragilité des systèmes alimentaires avérée par la crise du Covid-19. Son approche et ses méthodes, alliant agronomie, écologie et social permettent de répondre aux besoins de la production agricole et alimentaire tout en évitant les effets délétères de l’agriculture conventionnelle. Les paysannes et les paysans qui pratiquent l’agroécologie sont des acteurs majeurs du maintien des patrimoines nourriciers tout en contribuant à la lutte contre le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité. Elles et ils assurent une production alimentaire nutritive, la durabilité environnementale et une meilleure résilience socio-économique à l’échelle des territoires.
Alors qu’elle est hautement résiliente, l’agroécologie souffre surtout du manque de ressources financières et matérielles et d’un cadre institutionnel favorable. Cette situation est aggravée par la volatilité des prix agricoles et la spéculation des denrées sur les marchés internationaux. La transition écologique de l’agriculture est indispensable à la lutte contre la désertification et la dégradation des terres. Elle ne peut se faire sans les paysannes et les paysans qui pratiquent l’agroécologie et les politiques commerciales doivent les y aider, et non leur nuire. C’est urgent.
Signataires
Amadou Tougiani Abasse, chercheur agroforestier à l’INRAN (Niger) ; Yann Arthus-Bertrand, président de la Fondation GoodPlanet ; Claire Babin, présidente de l’Association des Éleveurs du Ténéré ; Monique Barbut, ancienne secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification ; Stéphane Bellon, ingénieur de recherche à l’INRAE ; Nabil Ben Khatra, coordinateur de programme à l’Observatoire du Sahara et du Sahel ; Omar Bessaoud, administrateur scientifique au CIHEAM-IAMM ; Éric Buchet, président d’Experts-Solidaires ; Marc Bied-Charreton, président d’honneur du Comité Scientifique Français de la Désertification ; Lydia Bourguignon, directrice du Laboratoire d’Analyse Microbiologique des Sols ; Youssef Brahimi, président de DesertNet International ; Nicolas Bricas, titulaire de la Chaire UNESCO Alimentations du monde ; Patrice Burger, président du CARI ; Jean-Paul Capitani, président de l’Université Domaine du Possible ; Patrick Caron, président d’Agropolis International ; Henry de Cazotte, président du Gret ; Claire Chenu, coordinatrice du Programme européen sur les sols agricoles – EJP SOIL ; Jean-Luc Chotte, pédologue à l’IRD ; Karine Claireaux, présidente du réseau Compostplus ; Philippe Collin, président d’AVSF ; Juliette Compaore, présidente du SPONG (Burkina Faso) ; Antoine Cornet, directeur de recherche émérite à l’IRD ; Ronan Dantec, sénateur et président de Climate Chance ; Philippe Desbrosses, président d’Intelligence Verte ; Ghislaine Diallo, présidente de Tawaangal Pastoralisme ; Philippe Donnen, professeur de santé publique à l’Université libre de Bruxelles ; Isabelle Droy, socio-économiste à l’IRD ; Marc Dufumier, professeur honoraire à AgroParisTech ; Robin Duponnois, président du Comité Scientifique Français de la Désertification ; Mohamed Abdellahi Ebbe, directeur général de l’Institut du Sahel – CILSS ; Patrice Ebrard, secrétaire général de l’Afdi ; Michel Eddi, président directeur général du Cirad ; Frank Eyhorn, directeur général de la Fondation Biovision ; Christian Faure, co-président d’Alternatiba Montpellier ; Franck Fortune, directeur de SO Coopération ; Gérard Fourestier, président de l’ADEFRAMS ; Émile Frison, membre du panel d’IPES-Food ; Ahmadou Gambo, président du CNCOD (Niger) ; Michel Gasnier, président d’Entrepreneurs du Monde ; Jacques Godard, co-président de SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires ; Claire Gsegner, présidente de l’APDRA-Pisciculture Paysanne ; Abdelbasset Hamrouni, président de l’ACDD (Tunisie) ; Rémi Hémeryck, délégué général de SOS SAHEL ; Bernard Hubert, directeur d’études de l’EHESS ; Nadine Huet-Hanouin, présidente de la MTMSI ; Nicolas Hulot, président d’honneur de la Fondation pour la Nature et l’Homme ; Mohammed Ider, président de l’APEB (Algérie) ; Vincent Jacques le Seigneur, directeur général de la Fondation Énergies pour le Monde ; Philippe Jahshan, président de Coordination SUD ; Michel Ange Jean-Noël, directeur de GRADIMIRH (Haïti) ; Lahcen Kabiri, président de l’AOFEP (Maroc) ; Parviz Koohafkan, président de la World Agricultural Heritage Foundation ; Benoît Lambert, président de l’Association la Voûte Nubienne ; Sophie Lehideux, directrice de Kynarou ; Joël Lebreton, président d’Agrisud International ; Christian Legay, coordinateur Afrique de l’Ouest d’Autre Terre ; Philippe Lévêque, directeur général de CARE France ; Paul Luu, secrétaire exécutif de l’Initiative « 4 pour 1000 » ; Jean-Louis Marolleau, secrétaire exécutif de l’AEFJN France ; Régis Maubrey, directeur de Greenway International ; Marc Mercier, président du Réseau Euromed France ; Sandra Métayer, coordinatrice de la Coalition Eau ; Richard Minougou, président du COASP (Burkina Faso) ; Sophie Nick, coordinatrice de Com4Dev ; Abdoulaye Ouedraogo, président du CNABio (Burkina Faso) ; Mathieu Ouedraogo, président du réseau MARP (Burkina Faso) ; Ousmane Ouedraogo, président de l’APIL (Burkina Faso) ; Eli Ouermi, technicien en gestion des ressources naturelles de Tiipaalga (Burkina Faso) ; Jacques Ould Aoudia, vice-président de Migrations & Développement ; Sidi Ould Ely Menoum, directeur du CNRADA (Mauritanie) ; Sylvain Perret, directeur scientifique au Cirad ; Yvette de Peyer, coordinatrice de la coopération Pel Maoudé-Le Vigan ; Emmanuel Poilane, président du CRID ; Lina Raharisoavelohanta, directrice exécutive d’AIM, (Madagascar) ; Heriniaina Hobiarivelo Rakotomalala, coordinateur de l’AMADESE (Madagascar) ; Rakoto Rakotondramanana, directeur exécutif du GSDM (Madagascar) ; Tantely M. Razafimbelo, directeur du Laboratoire des Radio-Isotopes de l’Université d’Antananarivo ; Khadija-Catherine Razavi, directrice exécutive du CENESTA ; Mélanie Requier-Desjardins, administratrice scientifique au CIHEAM-IAMM ; Luc de Ronne, président d’ActionAid France ; Christophe Roturier, président de Max Havelaar France ; Michel Saintpierre, président du Syndicat Centre Hérault ; Mathieu Savadogo, président de l’ARFA (Burkina Faso) ; Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement ; Éric Scopel, agronome au Cirad ; Goundo Sissoko, présidente du REFEDE (Mali) ; Mariam Sow, secrétaire exécutive d’ENDA Pronat (Sénégal) ; Christine Soyard, membre du bureau collégial de la Fédération Artisans du Monde ; Julie Stoll, déléguée générale de Commerce Équitable France ; Abdou Tenkouano, directeur exécutif du CORAF ; Bernard Terris, président de l’association Danaya ; Amadou Abdourhamane Toure, coordonnateur de SFR RACINES Sahel ; Isabelle Touzard, maire de Murviel-lès-Montpellier ; Koen Van Troos, responsable des politiques à Vétérinaires Sans Frontières (Belgique) ; Michel Vampouille, président de Terre de Liens ; Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme ; Olivier Wenden, vice-président de la Fondation Prince Albert II de Monaco ; Omonlola Nadine Worou, coordinatrice du programme à l’ICRISAT ; Tariq Zidi, président de la Fondation Norsys