Tribune dans Le Monde

« La mise en œuvre du droit humain à l’eau potable est un enjeu de solidarité mondiale »

Sans un sursaut de la communauté internationale, la moitié de la population mondiale subira des pénuries d’eau d’ici à 2050. A l’occasion de la Conférence des Nations unies sur l’eau, qui doit s’ouvrir le 22 mars à New York, les responsables des ONG Action contre la faim, le Secours islamique France et Coalition Eau appellent le gouvernement français à prendre une série d’engagements ambitieux.

Tribune publiée sur le site LeMonde.fr, le 16/03/2023 

La Journée mondiale de l’eau, le 22 mars, marque l’ouverture de la Conférence des Nations unies sur l’eau, à New York, qui se clôturera le 24 mars. Ce rendez-vous est crucial : pour la première fois depuis un demi-siècle, les Etats vont se réunir sous l’égide des Nations unies pour discuter des enjeux d’accès à l’eau et des questions liées à l’assainissement et à la préservation des ressources en eau.

L’eau est l’enjeu majeur du XXIe siècle. Aujourd’hui encore, une personne sur quatre dans le monde ne dispose pas d’un accès à l’eau potable et une personne sur trois est privée de toilettes, selon les données 2021 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Pourtant, nous sommes en 2023… et les Nations unies ont reconnu l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain fondamental en 2010 ! Même en France métropolitaine, le manque de raccordement à l’eau est un défi pour 400 000 personnes en habitat précaire. Dans les territoires d’outre-mer, la situation est encore plus alarmante.

Les premières victimes sont les plus vulnérables. L’accès à l’eau et à l’assainissement est un enjeu vital pour 180 millions de personnes en zones de conflit ou en contexte de crise humanitaire. Les femmes sont particulièrement exposées, et les enfants ne sont pas épargnés : pour ces derniers, le risque de mourir d’une maladie liée à l’eau est, selon l’Unicef, vingt fois supérieur à celui de succomber lors d’un conflit armé.

La rareté de l’eau cause des déplacements forcés des populations, ce qui peut être à l’origine de tensions aiguës : les conflits entre populations pastorales et agriculteurs sédentaires au Soudan du Sud, dans la zone sahélienne, ou en Afghanistan illustrent cette réalité.

Des progrès trop lents

Aux enjeux d’accès à l’eau potable s’ajoutent les nombreuses pressions exercées sur nos ressources en eau : pollution, surexploitation, agriculture intensive, gaspillage, accaparement et dérèglement climatique. Cette crise provoque la multiplication des inondations et des sécheresses de plus en plus intenses, y compris en France, où des villages sont privés d’eau courante. Sans un réel sursaut de la communauté internationale, nous allons droit dans le mur : la moitié de la population mondiale subira des pénuries d’eau d’ici à 2050, indique le Rapport mondial 2020 des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau.

Les progrès sont trop lents : d’après ce rapport, les Etats doivent quadrupler leurs efforts pour atteindre l’Objectif de développement durable n° 6, qui vise, d’ici à 2030, une gestion durable de l’eau, ainsi que l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement. Malheureusement, l’eau est un angle mort de la diplomatie mondiale.

Contrairement à d’autres secteurs, sa gestion ne fait l’objet d’aucun traité international, en dehors de deux conventions sur les eaux transfrontalières, encore peu ratifiées par les Etats. Il n’y a pas non plus d’agence spécialisée dans le cadre des Nations unies, ni de fonds internationaux pour l’eau. Enfin, il n’existe pas d’espace intergouvernemental sur l’eau permettant des réunions régulières entre Etats, à l’image des COP sur le climat.

L’eau est traitée de façon fragmentée et inadéquate dans les débats politiques internationaux malgré son importance pour la santé publique, le développement social et économique, la préservation de l’environnement et la paix. La reconnaissance extrêmement tardive de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme droit humain fondamental est un marqueur très fort des lacunes du système multilatéral.

Un enjeu de paix

Cette conférence est le premier rendez-vous intergouvernemental sur l’eau depuis 1977. Aucun accord politique n’y sera adopté : la communauté internationale n’est ni structurée ni prête après des décennies de mutisme sur l’eau. Cependant, c’est une occasion historique de remobiliser les Etats autour de leurs engagements, et de renforcer la gouvernance mondiale.

Nos organisations – Action contre la faim, le Secours islamique France et Coalition Eau – attendent des avancées concrètes pour construire une véritable gouvernance mondiale de l’eau. La mise en place de réunions régulières entre les Etats est plus que nécessaire : le manque d’espace multilatéral sur l’eau n’incite pas les gouvernements à agir à l’échelle nationale, ni à rendre compte de leurs progrès.

De plus, l’eau est un enjeu géopolitique majeur. Comme le changement climatique, le cycle de l’eau ignore les frontières administratives. Les Etats doivent en prendre conscience : ils sont aussi interdépendants en matière d’eau que face aux défis globaux comme la crise climatique, la sécurité alimentaire, la dégradation de l’environnement, ou encore les modes de production et de consommation.

La gestion de cette ressource vitale et partagée est un enjeu de paix qui ne peut être ignoré. Enfin, face à la multiplication des crises humanitaires, et alors que de nombreux Etats n’ont pas les capacités de répondre aux besoins vitaux des populations, la mise en œuvre du droit humain à l’eau potable est aussi un enjeu de solidarité mondiale.

Un envoyé spécial des Nations unies sur l’eau

A l’occasion de la Conférence des Nations unies sur l’eau, nos organisations appellent le gouvernement français à annoncer des engagements ambitieux :

  • en soutenant une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la mise en place de réunions intergouvernementales régulières sur l’eau ;
  • en défendant la nomination d’un envoyé spécial des Nations unies sur l’eau disposant d’un mandat politique fort pour piloter la réflexion sur la gouvernance mondiale de l’eau ;
  • en organisant un « One Planet Summit » consacré à l’eau, comme l’a évoqué le président de la République lors de la Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices en 2022 ;
  • en allouant des ressources financières et humaines suffisantes pour la politique d’action extérieure de la France pour l’eau et l’assainissement, en particulier pour la solidarité internationale ;
  • en prenant, enfin, des mesures fortes pour la bonne gestion des ressources en eau sur le territoire national et la mise en œuvre des droits humains à l’eau et à l’assainissement pour tous et toutes.

Signataires :

Rachid Lahlou, président fondateur du Secours islamique France ; Sandra Métayer, coordinatrice de la Coalition Eau ; Pierre Micheletti, président d’Action contre la faim-France.

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