Droit à l'eau et à l'assainissement en France

De l’eau gratuite pour les ménages précaires

La consommation d’eau potable des ménages précaires

Tout le monde convient qu’une personne sans ressources en France devrait bénéficier d’un minimum d’eau potable à titre gratuit pour vivre dans la dignité. Cette exigence est confortée par la loi qui reconnaît l’existence du droit à l’eau et à l’assainissement. Toutefois, il n’existe aucune norme explicitant la portée exacte de ce droit, c’est-à-dire la quantité d’eau qu’il faut fournir gratuitement aux personnes sans ressources. Une telle quantité est évidemment supérieure à la quantité d’eau nécessaire pour survivre, à savoir la norme de 20 litres par jour et par personne (L/j/p) à laquelle se réfère l’OMS pour la boisson et la nourriture et est inférieure à la quantité moyenne d’eau consommée par un usager moyen pour ses besoins personnels (environ 110 L/j/p).

Pour fixer les idées, nous examinons le cas des ménages qui ont tout perdu du fait d’une inondation ou d’un incendie et ne peuvent pas payer la facture d’eau correspondant au logement mis à leur disposition par la mairie.  Dans une pareille situation, on peut supposer que la consommation d’eau de ce ménage est de l’ordre de 80 L/j/p, ce qui est bien en dessous de la consommation moyenne d’eau en France (137 L /j/p). Ce volume d’eau est utilisé pour les usages « normaux », y compris pour les douches, l’hygiène personnelle, le lavage du linge et les toilettes mais pas pour cultiver des légumes, élever des poules ou arroser un jardin. Si l’eau coûte 5 €/m3 (TTC, assainissement compris) et que le ménage alimenté en eau est composé de deux personnes, la facture d’eau est de 80 x 365x 1.5 x 5/1000 € = 219 €/an.

Si ce ménage précaire vit dans une caravane avec branchement à l’eau fourni par le camping où il est hébergé, il consomme probablement moins d’eau, par exemple 50 L / j /p, mais l’eau des toilettes sera incluse dans la redevance du camping. S’il vit dans un bidonville ou sous la tente dans un campement, il ne dispose sans doute pas de toilettes et devra probablement transporter l’eau en jerrican sur environ 500 m. Aussi sa consommation en eau pourrait n’atteindre qu’environ 30 L /j /p.  Ces exemples montrent que la quantité d’eau consommée par des ménages précaires en absence de tout gaspillage varie beaucoup selon les circonstances.

D’un point de vue économique, si la quantité d’eau à fournir gratuitement aux plus démunis est  50 L/ j / p  en l’absence de gaspillages et si l’eau coûte 5 €/m3, la dépense à prévoir est de 0.25 €/ j ou 91 €/an pour chaque personne alimentée. Si un million de personnes bénéficiaient de cette eau gratuite, l’incidence serait de 91 millions d’€ pour un million de bénéficiaires ou 1.4 €/an par habitant.

Le droit à l’eau gratuite en France

La France reconnaît officiellement le droit à l’eau et à l’assainissement[1] et intervient pour donner accès gratuitement à l’eau dans les situations de catastrophes. Ainsi les mairies distribuent gratuitement des bouteilles d’eau et des camions citernes d’eau sont amenés près des points d’utilisation.  En revanche, dans des situations moins « exceptionnelles », lorsque les usagers sont des SDF, des personnes itinérantes ou migrantes, la fourniture gratuite d’eau est plus limitée, voire même inexistante. Pourtant la loi en vigueur est claire : toutes les personnes en situation de précarité doivent bénéficier gratuitement d’un volume d’eau potable lorsque l’eau et l’assainissement sont inabordables.[2] Cette loi est mise en œuvre lorsque l’eau est distribuée gratuitement par des bornes fontaines ou des rampes de robinets pas trop éloignées des campements. Elle est aussi mise en œuvre lorsque la CAF locale ou le Fonds de Solidarité Logement départemental intervient en donnant une aide pécuniaire pour payer une grande partie de la facture d’eau de l’usager.

Mais s’il n’y a pas de points d’eau à proximité, comment fournir de l’eau aux usagers les plus précaires et quelle quantité devrait leur être fournie gratuitement ? En l’absence de normes pour la fourniture d’un minimum d’eau potable, le Ministère de l’Environnement a reconnu en 2014 [3] que l’eau « essentielle » pour un ménage de 4 personnes est de 51 L/ j/p. Ce volume est proche du volume d’eau souvent recommandé comme un minimum au niveau international (OMS, HCR, Sphere, etc).

Depuis décembre 2019, les collectivités sont autorisées à mettre en place un tarif social de l’eau pour donner accès à l’eau aux personnes démunies à un prix abordable.  Elles peuvent même choisir de fournir gratuitement une première tranche de consommation aux usagers précaires (tarif sans part fixe et avec première tranche gratuite)[4].

Jusqu’ici, aucune collectivité française n’a rendu gratuite la distribution de l’eau « essentielle » (51 L/j/p), ni même la fourniture de l’eau « vitale » aux plus démunis (20 L/j/p). Cette politique correspond à la loi en vigueur jusque récemment qui interdisait la tarification sociale. Mais, conscientes des besoins des ménages précaires, certaines municipalités ont mis en place un tarif très réduit pour les premiers m3. Ainsi à Dax, la première tranche de 30 m3 est gratuite mais supporte des taxes et redevances de 0.6 €/m3 ainsi qu’une part fixe. Par contre, d’autres municipalités qui n’avaient pas estimé nécessaire de fournir l’eau vitale aux plus démunis ont été condamnées par le Conseil d’Etat à mettre en place et à alimenter des points d’eau gratuits.

D’autre part, il existe de multiples systèmes d’aide pour l’eau mais ils se limitent habituellement à des aides partielles et ne bénéficient qu’à une petite fraction des personnes démunies. Comme l’affirmait le Secrétaire d’Etat Benoist Apparu [5] à propos de l’aide pour l’eau : « Actuellement, 60 000 ménages ont bénéficié du FSL au titre du volet « eau », mais le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé à 526 000 ». Dix ans plus tard, l’accès à l’eau pour les plus démunis a peu évolué. Le montant des crédits pour aider les ménages à payer leur eau reste très limité. En revanche, la loi a interdit de réduire l’accès à l’eau en cas d’impayés, mais l’usager reste redevable du prix de l’eau consommée.

Au niveau parlementaire, la proposition de fournir un volume minimal d’eau potable à titre gratuit a souvent fait l’objet de débats. Elle figure notamment dans une proposition de loi récente [6] qui ne comporte toutefois aucune indication sur le volume minimal d’eau envisagé.

Le droit à l’eau gratuite en Europe

En Europe, la prise en charge de l’eau « vitale » ou « essentielle » consommée par des ménages précaires est rare mais il existe des exceptions. En Espagne, quelques municipalités offrent gratuitement l’eau aux plus démunis.  A El Prat de Llobregat (Catalogne), la municipalité garantit aux ménages précaires la fourniture de 150 L/j/p tandis que celle de Medina Sidonia (Andalousie) garantit 100 L/j/p. Dans quelques pays, le prix de la première tranche de consommation d’eau d’un ménage est très inférieur au prix unitaire de la consommation d’eau d’un ménage moyen. Ainsi en Flandre (Belgique), le tarif de l’eau est réduit de 80 % pour les personnes démunies.

L’Italie est sans doute le seul pays européen où la loi garantit la fourniture de la quantité d’eau nécessaire pour répondre aux besoins essentiels des usagers des services d’eau qui sont dans des conditions économiques et sociales défavorisées[7].  Plusieurs décrets régionaux [8]  stipulent que la quantité minimale nécessaire pour répondre aux besoins essentiels des personnes est de 50 L/j/p. Tous les usagers démunis ont accès gratuitement à ce volume d‘eau car ils bénéficient d’une prime eau (bonus eau) qui couvre le coût de la quantité minimale d’eau nécessaire pour les besoins essentiels.

Au niveau de l’UE, la Directive révisée sur l’eau potable récemment adoptée[9] met l’accent sur la fourniture d’eau potable aux « groupes vulnérables et marginalisés ». Elle charge les Etats de faire en sorte que ces groupes aient accès à l’eau potable et exige que des équipements d’accès à l’eau soient installés dans les espaces publics afin de permettre la consommation d’eau « à titre gratuit ou pour une faible redevance ».

Conclusion

Pour améliorer l’accès à l’eau des plus démunis en France, il conviendrait de multiplier les points d’eau gratuits et de fixer une quantité minimale d’eau qui devrait être rendue disponible gratuitement pour les plus démunis dans les tarifs des distributeurs d’eau.  Avec l’adoption de la loi Engagement et Proximité, une telle approche est désormais devenue légale.  Chaque collectivité peut désormais créer un système tarifaire qui répond aux besoins en eau potable de tous, y compris des plus démunis.  Compte tenu des inégalités territoriales de ressources des ménages, l’incidence financière des mesures d’aide nécessaires variera entre les collectivités.

Pour éviter de trop grandes disparités entre collectivités, le législateur pourrait intervenir pour fixer la quantité d’eau minimale à laquelle ont droit à titre gratuit tous ceux qui sont trop démunis pour la payer. Tant que ce minimum ne sera pas inscrit dans la loi, le droit à l’eau risque de n’être qu’un droit illusoire pour les plus démunis.

Références

[1] Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. CGCT. Art. L. 2224-12-1-1. « Les services publics d’eau et d’assainissement sont autorisés à mettre en œuvre des mesures sociales visant à rendre effectif le droit d’accéder à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions économiquement acceptables par tous… »

[2] CASF. Article L115-3… toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d’eau, d’énergie, d’un service de téléphonie fixe et d’un service d’accès à internet.

[3] Communiqué de presse, Min. Env., 5 mars 2014.

[4] CGCT L2224-12-3. « La tarification de l’eau potable aux abonnés domestiques peut tenir compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés en situation particulière de vulnérabilité en prévoyant un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de consommation gratuite ».

[5] Ass. nat., séance du 1/12/2010.

5 Proposition de loi nº 3451 visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, oct. 2020.

[7] Loi N°221 du 28 décembre 2015 sur l’environnement, art.60.1.

[8] Décrets pris en application de la loi N°221(2015).  DPCM 13 octobre 2016 « Tarif social du service intégré de l’eau  (GU 18 /11/2016, N°270). DPCM 29 août 2016 (GU, 14/10/2016, N°241).

[9] Directive révisée sur l’eau potable 2021 ?

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