28 Mars 2018
Forum Mondial de l’Eau
Le Forum Mondial de l’Eau 2018 : quel bilan ?
Le 8ème Forum Mondial de l’Eau a eu lieu du 19 au 23 mars 2018 à Brasilia, Brésil. Environ 10 000 personnes ont participé à cette première édition du Forum dans un pays de l’hémisphère Sud. S’il a accueilli quelques innovations intéressantes, le Forum s’est caractérisé, à l’image des précédentes éditions, par une participation difficile de la société civile et par un manque d’ambition et de portée politique.
Une participation de la société civile internationale décevante
Le Forum brésilien a engagé des efforts pour marquer son ouverture à la société civile, grâce à une représentation équilibrée des différents acteurs dans chaque session, à l’organisation d’un Forum citoyen qui s’est montré très dynamique (100 000 visiteurs d’après les organisateurs) et, enfin, au soutien financier pour appuyer la venue d’organisations de la société civile.
Toutefois, le système de sponsorship, dont le montant était déjà très limité, s’est révélé largement défaillant. D’une part, les critères du sponsorship (centrés sur les pays étrangers et non-OCDE) n’ont pas été appliqués au moment de la sélection. D’autre part, environ 10% des personnes sélectionnées n’ont finalement jamais reçu de billet d’avion ou de visa. Ces manquements n’ont pas permis une représentation effective des organisations de la société civile, en particulier d’Afrique et d’Asie.
- Voir le communiqué de l’Effet Papillon « Too many left behind : Failure of support mechanisms jeopardizes inclusiveness of the 8th World Water Forum ».
Les nombreuses déclarations du Forum
Plusieurs déclarations ont été adoptées au cours de la semaine :
- La déclaration ministérielle
Intitulée « Urgent call for decisive action on the water » et adoptée par environ 70 ministres, la déclaration est le résultat de négociations, parfois difficiles, entre une centaine de pays. Cette déclaration peu ambitieuse opère un retour en arrière par rapport aux Forums précédents et ne prend pas en compte (ou insuffisamment) certains enjeux forts comme l’architecture mondiale de l’eau au sein des Nations Unies, le suivi des Objectifs de Développement Durable, l’eau et la paix… Notons que, comme pour les précédents FME, la déclaration n’a pas de portée contraignante et la liste des Etats signataires n’existe pas.
- La déclaration des juges
Le processus « Juges » – une première pour ce Forum – a rassemblé environ 80 magistrats des différents continents, et a adopté une déclaration autour de 10 principes, « The Brasilia Declaration of Judges on Water Justice », laquelle a reçu un bon écho. Son objectif : préciser comment les principes des lois environnementales (principe de prévention, précaution, pollueur-payeur etc.) peuvent s’appliquer à l’eau et mobiliser les autorités judiciaires dans ce sens.
- La déclaration “Durabilité”
Basée sur les différents textes issus du Forum, la déclaration « Durabilité » a été préparée par le Focus Group Durabilité, dont le mandat était de s’assurer de la prise en compte du développement durable de façon transversale dans le Forum. Elle a été ouverte aux commentaires et se veut la déclaration des participants du Forum. La volonté du Focus Group est de porter cette déclaration au Forum Politique de Haut Niveau des Nations Unies de juillet 2018.
- Les autres déclarations
Parmi les autres textes adoptés, notons une déclaration des parlementaires, un appel à l’action des autorités régionales, et une déclaration des jeunes.
Des débats thématiques riches
Le Forum a organisé 300 sessions thématiques et régionales, un nombre inférieur aux précédentes éditions, ce qui a permis une participation très forte dans toutes les sessions. Les thèmes discutés ont été bâtis autour des engagements majeurs pour le secteur, tels l’Agenda 2030 pour le développement durable, l’Accord de Paris, l’Accord de Sendai, le Nouvel Agenda Urbain…
Parmi les thèmes qui sont ressortis fortement ou ont émergé lors du Forum : les catastrophes naturelles, le climat, les migrations, le développement urbain, la paix, la gouvernance de l’eau et la participation des parties prenantes, l’économie circulaire et les liens eaux douces/eaux marines… Les solutions fondées sur la nature ont été particulièrement mises en avant puisqu’il s’agissait du thème de la Journée Mondiale de l’Eau du 22 mars.
Les principaux faits marquants et publications
- Clôture des travaux du Panel de Haut Niveau sur l’Eau
Lancé en 2016 par le Secrétaire Général de l’ONU et la Banque Mondiale, ce Panel était constitué de 11 Chefs d’Etats et d’un conseiller spécial, avec l’objectif de fournir un leadership pour l’atteinte de l’ODD 6. Ses travaux se sont clôturés lors du Forum par la publication d’un « outcome package » composé d’une lettre ouverte pour les autres décideurs, un document final, de courts résumés des initiatives-clés prises par le Panel, ainsi qu’une vidéo mobilisatrice.
- Le rapport sur la mise en valeur des ressources en eau de UN-Water
Publié à l’occasion de la Journée Mondial de l’Eau, le rapport (en anglais « World Water Development Report » – WWDR) est centré sur les solutions fondées sur la nature, comme alternative pour l’amélioration de la gestion et de la qualité de l’eau, et la prévention des risques naturels. Selon le rapport, plus de 5 milliards de personnes pourraient être affectées par les pénuries d’eau d’ici 2050, en raison du changement climatique, de la demande croissante et de la pollution de l’eau.
- Publication de l’initiative sur la Gouvernance de l’Eau de l’OCDE
En 2015, les principes de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau ont été adoptés par 42 pays et 140 parties prenantes. 3 ans plus tard, l’OCDE a lancé un rapport dédié à leur mise en œuvre, avec un focus sur les indicateurs et les bonnes pratiques.
La participation de la Coalition Eau et de l’Effet Papillon
Dans un contexte de préparation difficile du 8ème Forum Mondial de l’Eau, la Coalition Eau a choisi de concentrer ses objectifs vis-à-vis du Forum sur (1) la participation des OSC au processus thématique, (2) le suivi des enjeux politiques, et (3) le réseautage.
En lien avec l’Effet Papillon, la participation de la Coalition Eau au Forum a permis de :
- placer des représentants d’OSC dans différentes sessions thématiques,
- organiser une session thématique sur les politiques inclusives dans le domaine de l’eau,
- organiser des sessions parallèles sur la redevabilité des Etats pour la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable,
- suivre et influer sur les préparatifs de la déclaration ministérielle,
- se tenir informée des discussions qui animent le secteur et rencontrer ses partenaires internationaux,
- se positionner stratégiquement envers le 9ème Forum Mondial de l’Eau qui aura lieu au Sénégal en 2021 et sera très centré sur les enjeux de développement humain, en particulier pour l’Afrique.
La Coalition Eau était représentée par sa coordinatrice, et 6 ONG membres étaient présentes : Action Contre la Faim, Eau Vive, Green Cross International, Solidarité Eau Europe, Secours Islamique France, Solidarités International.
L’Effet Papillon a mobilisé une vingtaine de ses membres, y compris des représentants d’Afrique et d’Asie. Les membres de l’Effet Papillon ont été présents dans les différents espaces du Forum, en particulier le processus thématique. Les mouvements de jeunes liés à l’Effet Papillon ont également été très visibles.
Sur la route de Dakar 2021
En conclusion, malgré quelques innovations, ce Forum, comme les précédents, constitue un événement dont l’impact est difficile à évaluer. Toutefois, il est à noter que le prochain Forum, qui aura lieu au Sénégal en 2021, cherche à changer cette tendance. Les autorités sénégalaises, fortement représentées à Brasilia, ont exprimé clairement leur volonté d’organiser un Forum très différent : une portée politique renforcée (avec dans l’idéal une connexion vers les Nations Unies), la fin des processus traditionnels, le mélange des différents types d’acteurs, un programme axé sur un nombre réduit de priorités, un accompagnement de projets concrets… De nombreux contacts ont été établis entre les ONG membres de l’Effet Papillon et les autorités sénégalaises, afin de s’assurer d’une forte prise en compte des attentes de la société civile sur la route de Dakar 2021 et ce, dès les premières phases préparatoires.
Le Forum Alternatif Mondial de l’Eau 2018
Le Forum alternatif a réuni environ 7000 personnes à Brasilia selon les organisateurs, en particulier des communautés indigènes, mouvements sociaux, militants écologistes, universitaires, ou encore opposants à la privation de l’eau et aux multinationales. Organisé autour du thème « L’eau est un droit, pas une marchandise », il a donné lieu à un fourmillement d’initiatives : sessions et conférences autogérées, marches, manifestations, activités culturelles… Une déclaration finale a été adoptée, dénonçant entre autres la tenue du Forum officiel à Brasilia, le contrôle privé sur les ressources en eau et les crimes liés à l’eau.
Pour aller plus loin :
- Notre article « Les Forums Mondiaux de l’Eau : une opportunité pour la cause de l’eau ? » dans le Baromètre de l’Eau 2018 de Solidarités International
- Site du Forum Mondial de l’Eau 2018
- Site du Forum Alternatif Mondial de l’Eau 2018